Taxe COVID : pourquoi ne pas la faire payer aux assurés ?

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Avec la taxe Covid, les assureurs complémentaires sont appelés en renfort de l’Assurance maladie dont le trou ne cesse de se creuser à mesure de la prolongation de la pandémie. Montant de la contribution exceptionnelle : 1,5 Md€. Si la note est jugée excessive par certains organismes, elle pourrait être un excellent levier de fidélisation dans un contexte de mise en place de la résiliation infra-annuelle. Explications.

Pourquoi instaurer une taxe COVID ?

Selon la loi n° 2020-1576 de décembre 2020 et relative au financement de la sécurité sociale pour 2021, une taxe exceptionnelle à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l’épidémie de covid-19, et dite taxe Covid, est due par les organismes mentionnés au I de l’article L. 862-4 du code de la sécurité sociale en activité au 31 décembre 2020.

2,2 milliards d’euros d’économies

C’est le chiffre avancé par le gouvernement pour expliquer la mise en place de la taxe Covid qui n’est pas la première du genre ; la plus récente contribution exceptionnelle étant celle instaurée durant l’épidémie de grippe A (H1N1). La taxe Covid, évaluée à 1,5 Md€, se justifie donc par la forte limitation des dépenses des complémentaires santé durant le confinement en raison de la chute d’une grande partie des dépenses de santé sur les 12 derniers mois1 :

  • Consultations (-5,3 % sur les soins de généralistes, -6,4 % sur les soins spécialisés)
  • Soins dentaires (-10,2 %)
  • Soins d’auxiliaires médicaux (-2,2 %)
  • Soins de masso kinésithérapie (-12,7 %)
  • Transports (-8,1 %)

À cette baisse des soins, à l’origine de la taxe Covid, s’ajoutent la prise en charge à 100 % des téléconsultations par la Sécurité sociale et la déprogrammation des interventions chirurgicales (3 mois de suspension d’activité, par exemple au CHU de Strasbourg, comme l’a confié le professeur Philippe Clavert, chirurgien et coordonnateur général des blocs opératoires des hôpitaux universitaires de Strasbourg, à France Assos Santé2.

Creusement du déficit de l’Assurance maladie

Si les économies réalisées par les Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie (OCAM) sont estimées à près de 2,2 Md€, les dépenses de l’Assurance maladie ont quant à elle explosé avec une progression de 3,2 % en rythme annuel.

  • Soins infirmiers (+5,3 %)
  • Analyses médicales (+23,9 %)
  • Indemnités journalières (+23,6 %)
  • Médicaments, rétrocession hospitalière incluse (+1,8 %)

La taxe Covid vise donc à soutenir l’Assurance maladie dont le déficit avoisine les 44,4 Md€ à fin 2020. La contribution de 1,5 milliard d’euros s’étalera sur deux années : 1 milliard en 2021 et 500 millions en 2022. Elle sera adossée à la Taxe de solidarité additionnelle (TSA) actuellement prélevée sur les cotisations des assurés.

La taxe COVID est-elle si justifiée ?

La taxe Covid a suscité l’incompréhension de la Fédération Française de l’Assurance. « Les assureurs ont montré au cours de cette crise qu’ils savaient se mobiliser pleinement pour nos compatriotes, avec plus de 2,3 milliards d’euros de mesures exceptionnelles au-delà de leurs contrats », a indiqué Florence Lustman, présidente de la Fédération Française de l’Assurance. « Nous regrettons vivement que ce projet de contribution ne prenne pas le temps d’évaluer les impacts réels de la crise sur les complémentaires », a-t-elle ajouté3.

Les craintes des OCAM

Les professionnels de l’assurance redoutent un « rattrapage de la consommation de soins et les impacts financiers de la crise ». Celle-ci interviendrait dans un contexte économique porteur de nombreuses incertitudes, la croissance s’étant effondrée à -9 % selon la Banque de France. Et, même si les dernières prévisions misent sur un rebond de celle-ci à 5 % en 2021, les aides de l’État pour contenir les défaillances d’entreprises vont bientôt prendre fin, avec pour corollaire la détérioration de la situation économique et une hausse attendue du chômage. Les dépenses des OCAM en seront donc affectées puisqu’ils sont dans l’obligation de maintenir la couverture santé et prévoyance des personnes privées d’emploi alors que les cotisations ne sont plus perçues. La taxe Covid est donc particulièrement mal vécue.

Une mesure contestée

L’économiste Frédéric Bizard a fait les comptes pour Challenges4. Selon lui, les caisses des complémentaires santé ont empoché de 2,5 à 3 milliards d’euros durant la crise sanitaire. « Plusieurs postes de dépenses auraient pu être assumés par les complémentaires, qui ont

collecté 36 milliards d’euros de cotisations en 2019, estime Frédéric Bizard, comme le financement des masques, des tests de dépistage ou des téléconsultations. » Par ailleurs, les gestes barrières diminuent fortement les flux des patients, la « “ruée vers les cabinets médicaux” brandie par les assureurs » n’est donc pas à craindre.

Mais pour l’économiste, la taxe Covid n’est pas la solution adéquate. « “Si la TSA augmente, les complémentaires ne vont pas hésiter à répercuter la hausse sur leurs tarifs dès l’an prochain”, prévient-il. Mieux aurait-il valu ponctionner directement leur “trésor de guerre”, à savoir leurs confortables réserves de solvabilité, qu’il estime à 30 milliards d’euros. Bien plus fournies que ce que recommande l’Autorité de contrôle prudentiel (ACPR), “avec un surplus d’environ 15 milliards d’euros”. »

Cet argument tend à faire oublier que la situation financière des groupes paritaires, spécialistes de l’assurance collective, est en moyenne déficitaire depuis 2011, comme le soulignait le rapport 2019 de la Drees sur « La situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé ». Les efforts consentis pour atténuer les effets de la crise sanitaire les ont davantage fragilisés, la taxe Covid n’arrangera rien.

Pour conclure, la taxe Covid semble ne pas être la solution idéale pour compenser les dépenses et les pertes de l’Assurance maladie dans un marché où l’hyperconcurrence va s’accentuer à la faveur de la résiliation infra-annuelle. Si certains acteurs peuvent éviter une répercussion de la taxe sur les contrats de leurs adhérents, la quasi-absence de résultats financiers contraindrait d’autres à augmenter leurs cotisations. Outre les tensions avec l’État, cette hausse pourrait alors accélérer la transformation du secteur en marché oligopolistique.

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